Voyage dans le temps

L'imaginaire de l'épidémie

De la peste d’Athènes au Covid-19…

Natacha Ordioni

La peste d’Athènes

La première pandémie connue de l’humanité frappe la Grèce antique de 430 à 426 av. J-C. Elle est relatée par l’historien Thucydide, qui a contracté la maladie, dans son ouvrage La guerre du Péloponnèse. Elle décime environ un tiers des habitants, dont l’homme d’État Périclès, père de la démocratie.

 

Quelle maladie?

 

Précédée par une rupture de l’équilibre éco-épidémiologique, l’épidémie a souvent été associée à la croissance démographique et à l’urbanisation. La ville d’Athènes est la plus touchée, et Thucydide met l’accent sur l’hécatombe des médecins contaminés par leurs malades et sur les ravages de la maladie.

Il est délicat d’opérer un diagnostic rétrospectif de l’épidémie dans le contexte scientifique médical de l’époque. Aussi des hypothèses relatives à des maladies très diverses ont été envisagées (peste, variole, rougeole,dengue méditerranéenne..).

Jusqu’à ce que l’étude de la pulpe des dents des squelettes de l’époque découverts dans une fosse commune à l’occasion de la construction du métro d’Athènes (1994), ne révèle la présence de l’ADN du bacille de la fièvre typhoïde (International Journal of Infectious diseases).
Il reste que la description que Thucydide réalise des symptômes de la maladie ne corrobore pas cette hypothèse:

« … les malades ressentaient intérieurement une fièvre si dévorante que les vêtements les plus légers et les plus fines étoffes de lin leur étaient insupportables ; ils tenaient à rester nus et leur plus grand désir était de se jeter dans l’eau froide. C’est du reste ce qu’ils firent souvent, quand ils n’avaient personne pour les garder : en proie à une soif inextinguible, ils allaient se jeterdans les citernes ».

thucydide, La guerre du Péloponnèse

L’hypothèse retenue sera finalement celle de la combinaison entre différentes épidémies simultanées.

 

Les épidémies de l’Antiquité à nos jours: des fantasmes récurrents

Le contexte épidémique conduit souvent à mettre l’accent sur ses effets dévastateurs sur l’ordre social et moral : l’épidémie favoriserait les débordements de toute nature et les comportements égoïstes. C’est ainsi que durant la grippe espagnole, dans les années 1920, c’est la libération excessive des mœurs qui fut incriminée.

Baehrel souligne aussi que les grande épidémies historiques débouchent souvent sur des peurs incontrôlées.

Ceci amène à rechercher des explications morales ou religieuses – la Bible interprète l’épidémie comme une punition divine – « J’enverrai la peste au milieu de vous » (Lévitique 26-25), ou à invoquer la culpabilité supposée d’un bouc émissaire – au Moyen-Âge, les Juifs sont soupçonnés d’empoisonner les fontaines. Parfois, on accable des groupes sociaux; dans les années 1830, l’épidémie de choléra, qui frappe surtout les quartiers populaires et insalubres, est attribuée aux médecins, à la bourgeoisie, et au gouvernement, désireux d’affamer et d’éliminer les prolétaires (1).

Aujourd’hui, certains imputent l’épidémie de Covid-19 aux pratiques alimentaires des Chinois, coupables de consommer des animaux jugés impurs. La mondialisation, l’incurie des gouvernements successifs ou « l’insouciance » de la jeunesse, se voient aussi régulièrement mis en accusation.

Dans cette perspective, l’épidémie de coronavirus peut être lue comme une manifestation du conflit entre les générations paupérisées des jeunes et celles de leurs aînés. La résistance des premiers peut notamment être lue dans le refus de respecter un confinement extrême. Ceci a conduit à la mise en oeuvre de mesures plus autoritaires par les autorités politiques légitimées par la montée en puissance des conduites déviantes – notamment l’interdiction d’investir certains espaces (bord de mer, promenades), et leur verbalisation.

C’est pourquoi la mise en quarantaine incarne ici des nécessités biologiques mais aussi sociales.

En revanche, la « haine du chirurgien » décrite par Baehrel n’est plus de rigueur : le personnel médical est a contrario remercié et célébré, notamment à travers les appels des réseaux sociaux qui suggèrent « de l’applaudir tous les soirs à 20h ».

Baehrel suggère enfin qu’un individu provenant d’une ville ou d’un village suspect « aurait risqué la mort » s’il s’approchait d’une zone préservée par l’épidémie. De façon euphémisée, on peut retrouver cette peur à travers la situation tendue qui est née dès le début du confinement associé à l’épidémie de Covid-9 dans certains espaces encore préservés de l’épidémie (Belle-Ile, Ré, Oléron… , 18/3). Face à l’afflux de « Parisiens » – certains « Insulaires » ont même vandalisé les voitures des « Continentaux », tandis que les pouvoirs publics ont interdit les promenades sur la plage et les pistes cyclables. (CNews, 25/3).

(1) Baehrel, René, « Epidémie et terreur: histoire et sociologie », Annales historiques de la Révolution française, n°122, 1951.

Fabre, Gérard, Epidémies et Contagions, L’imaginaire du mal en Occident, Colin, 2000.

Gervais, Alice, « À propos de la « Peste » d’Athènes : Thucydide et la littérature de l’épidémie, Bulletin de l’Association Guillaume Budé 1972, pp.395-429.

 

Natacha Ordioni

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