27 avril: On dirait le Sud…
21 avril: New York New York
17 avril: Nos amis les Belges
16 avril: Les bébés du confinement
14 avril: Avant la crise sanitaire, la crise humanitaire
13 avril:La rhétorique du déni
11 avril: We are the champions
7 avril: Le pic et le déconfinement
5 avril: Le pêché originel
2 avril: Les tweets de Bolsonaro
1 avril: France et Italie
30 mars: Quand spiritualité ne rime pas avec santé
29 mars: Hausse du rythme de diffusion
23 mars: Allemagne et Italie
On dirait le Sud..
Malgré une population de 95 millions d’habitants sur une surface deux fois moins étendue que la France, malgré 1300 km de frontière commune avec la Chine – situé à seulement 3 heures d’avion de Wuhan, lieu d’origine de l’épidémie – et en dépit d’un rang très moyen en termes de développement humain (118e sur 189 pays dans le classement du PNUD), le Vietnam a l’un des meilleurs bilans au monde (avec Taïwan) en matière de Covid-19. Celui-ci n’a encore fait aucun mort et le pays communiste est parvenu à en contenir la propagation sur son territoire, avec seulement 270 cas, et n’a connu aucun nouveau cas confirmé pendant huit jours consécutifs.
Comment expliquer ce bilan exceptionnel?
Et, en premier lieu, faut-il faire confiance aux chiffres? Selon l’agence du gouvernement américain de prévention et de contrôle des maladies (CDC) qui a dépêché des agents sur place, notamment à Hanoï, qui ont travaillé avec leurs homologues du ministère de la santé, en toute transparence: « Notre équipe nous a affirmé qu’il n’y avait à ce stade aucune indication que ces chiffres seraient incorrects. «
Le cas vietnamien illustre en premier lieu le fait qu’au delà de la découverte de traitements efficaces et d’un vaccin, une réponse très précoce et bien ciblée peut constituer une méthode très efficace de lutte contre l’épidémie. Dans cette perspective, le pays n’en est pas à son coup d’essai et a sans doute tiré profit de son expérience du SRAS (2003) et de la grippe H1N1 (2009).
Une réponse précoce et bien ciblée
Dès l’apparition du premier cas officiel (le 23 janvier), le pays à « zéro mort » (Journal du dimanche, 20 avril) ferme ses frontières puis interrompt ses liaisons aériennes (1er février). Au retour des vacances de la nouvelle année lunaire, les écoles resteront fermées (le 13 février). Les vols domestiques et internationaux seront interrompus à partir du 30 mars. Tous les étrangers se voient soumis à une quatorzaine et le port du masque est rendu obligatoire.
Même si selon les chiffres officiels, le Vietnam a effectué un total d’environ 200 000 tests – plus que tout autre pays d’Asie du Sud-Est, la maîtrise de l’épidémie est associée à une stratégie de type autoritaire, parfois qualifiée de low cost .
En effet, compte tenu de ses moyens limités pour tester en très grand nombre, le suivi des cas a été réalisé sous forme d’interviews et de recueil de témoignages. La stratégie mise en œuvre, articulée autour des grappes de cas – les « clusters » – a pris une forme autoritaire. Il s’agit de procéder à l’isolement strict des clusters, quels qu’en soient les impacts sur la liberté individuelle et sur la vie privée. Toute personne contaminée doit donner immédiatement l’identité de l’ensemble des personnes côtoyées dans les jours précédents et de tous les lieux qu’elle a visités. Cette surveillance étroite a donné lieu à la mise en quarantaine préventive de 80000 personnes depuis le début de l’épidémie, notamment dans des camps militaires et des hôtels, parfois pour un nombre de cas dérisoire. Une politique de dénonciation étroite a accompagné ce quadrillage – : »si vous voyez quelqu’un tousser, vous pouvez en informer la police« .
La stratégie de communication s’est également appuyée sur la diffusion de clips et chansons visant à promouvoir les gestes barrière comme le fait de se laver les mains, tandis que des flacons de gel hydro-alcoolique avaient été installés dans tous les espaces publics dès la fin janvier. Une chanson a notamment connu un vif succès dans de nombreux pays :
Toutefois une question reste posée : comme la politique sanitaire est-elle parvenue à susciter l’adhésion de la population, à faire respecter des mesures parfois très coercitives, tout en favorisant le développement de relations de solidarité entre les groupes sociaux – notamment le fait pour certains entrepreneurs de fournir du riz gratuit aux chômeurs?
La dimension culturelle, une variable clé?
Le fait que le Vietnam – mais aussi plusieurs autres pays asiatiques – soient parvenus à éradiquer plus efficacement l’épidémie que l’Amérique ou l’Europe peut nous interroger sur leurs similitudes.
Les travaux du hollandais G. Hofstede (1), qui a enquêté durant plusieurs années sur un échantillon de plus de 70 000 personnes employées dans une quarantaine de filiales d’IBM dans le monde nous fournissent une hypothèse explicative féconde. Le chercheur démontre que chaque pays véhicule des « programmes mentaux » développés au sein de la famille et renforcés à l’école, et qui se traduisent en termes de « traits culturels » au sein de la société et dans l’organisation. Parmi ces caractéristiques figure la distance hiérarchique, le degré d’individualisme, ou bien l’aversion pour le risque. En 1987, il rajoutera une nouvelle dimension spécifique aux pays asiatiques : le dynamisme confucéen. L’Asie est caractérisée par un fort Indice de distance hiérarchique qui renverrait à un programme mental vieux de plus de 4000 ans, prenant notamment racine dans les enseignements de Confucius. Alors que dans la plupart des pays du monde, l’individualisme accompagne le processus d’industrialisation et la hausse de la richesse, certains pays asiatiques constituent des exceptions du fait de leur programme mental, et le « nous » y prime toujours sur le « je ». Le dynamisme confucéen intégre en outre une orientation plus marquée vers le long terme et l’adhésion à des valeurs associées au groupe comme l’honneur, la persévérance ou le respect de la hiérarchie.
Cette perspective nous permet de mieux comprendre pourquoi au Vietnam, mais aussi au Japon, en Corée, en Chine, à Hong-Kong ou à Taïwan, un consensus peut être plus aisément trouvé afin d’accepter des méthodes intrusives. Ce fait culturel conduit à ce que la défense et les intérêts du groupe l’emportent sur le droit de l’individu. Il contribue aussi à favoriser la cohésion collective face au danger: c’est ainsi que l’appel du premier ministre à lancer « une offensive de printemps » contre le virus a été entendu et accepté par la population.
Les résultats exemplaires du Vietnam en matière de lutte contre le Covid-19 l’ont autorisé à assouplir les mesures de confinement dès le vendredi 17 avril. Toutefois, les activités des centres de divertissement, des centres de beauté et des massages ainsi que les rassemblements de plus de 200 personnes demeurent interdits.
En dépit de l’impact négatif du Covid-19 sur l’économie, notamment au niveau de la baisse de la demande mondiale, le Vietnam demeure l’une des économies les plus prospères de l’Asie du Sud-Est et ses prévisions sont optimistes en matière de croissance économique:
En effet, ses exportations sont en hausse malgré le COVID-19 (2), notamment en matière de ventes associées à la lutte contre le virus, qui contribuent aussi à améliorer ses relations diplomatiques. C’est ainsi qu’après avoir reçu 300 000 masques de Taïwan, le Vietnam a fait don de 550 000 à l’Europe . Il a aussi envoyé 40 tonnes de respirateurs en Allemagne.
(1) Bollinger, D., G. Hofstede, Les différences culturelles dans le management, Les éditions d’organisation, 1987.
(2) Le courrier du Vietnam, 23/4/2020
New York New York
Avec plus de 42000 décès liés au Covid-19 au 21 avril, les États Unis rassemblent le nombre le plus élevé de victimes dans le monde. C’est l’État de New-York (NYC) qui est le plus touché, puisqu’il réunit un tiers des cas américains, soit 14 fois plus que la Californie. Et si l’on rapporte le nombre de décès à la population totale, NYC connaît un niveau record:
Parmi les victimes, 25 enseignants et 29 membres de la police ont déjà perdu la vie à cause du virus. Pour arrêter la pandémie, il faut connaître les facteurs qui en sont à l’origine, aussi les analyses se multiplient. Pourquoi NYC est-il devenu le centre de la pandémie de Covid-19?
Un État très peuplé
NYC est un État de 20 millions d’habitants qui développent des relations d’étroite proximité physique dans l’espace public. C’est aussi la première destination touristique mondiale qui reçoit 60 millions de touristes par an.
C’est pourquoi l’hypothèse explicative centrale de la surmortalité à NYC est celle de sa forte densité, comme le répète à l’envi son gouverneur démocrate Andrew Cuomo. Pourtant, de nombreux éléments nous incitent à remettre en question la corrélation entre densité urbaine et contagiosité. La mortalité des cinq arrondissements ne conforte pas cette hypothèse – Staten Island, le borough le moins peuplé, connaît pourtant le taux de contamination le plus élevé, alors que Manhattan, le lieu le plus dense, a le taux le plus faible de Coronavirus. Le nombre moyen d’habitants par appartement n’est pas non plus en cause: 10% ont plus d’un occupant – contre 13% à Los Angeles, tandis que le nombre de restaurants par habitant est plus faible qu’à San Francisco qui a pourtant beaucoup moins de décès. D’autres arguments peuvent être retirés de l’analyse comparative internationale : Singapour, Hong Kong, Tokyo, Taipei ou Séoul, ont des densités bien plus élevées que NYC et connaissent néanmoins des taux beaucoup plus faibles de contamination.
La théorie des clusters
Selon plusieurs experts, la situation de NYC s’expliquerait par des facteurs aléatoires qui auraient favorisé une contagion par cluster: les premières personnes contaminées s’inscriraient dans des réseaux étroits à forte diffusion épidémique (Wall Street, Broadway…), s’apparentant même parfois à des « supers contaminateurs » : « cet homme de New Rochelle a propagé le virus à plus de 100 autres personnes« , a expliqué l’épidémiologiste George Rutherford de l’Université de Californie à San Francisco.
Un défaut d’anticipation
La gestion de la crise sanitaire par le maire et le gouverneur ont manqué de cohérence, ce qui a contribué à brouiller le message: tandis que le maire Bill de Blasio ordonnait la fermeture des bars et restaurants jusqu’au 16 mars, le gouverneur Andrew Cuomo évoquait la date du 22 mars.
– Le 3 mars : les premiers cas
– Le 14 mars: les premiers décès
– Le 18 mars: fermeture des écoles
– Le 22 mars: annonce du confinement
Ces ratés dans la mise en œuvre du confinement par le maire et le gouverneur ont eu des conséquences majeures sur l’accélération de la crise sanitaire. C’est ainsi qu’en Californie, l’ordre de confinement, donné le 19 mars – ce qui ne représente que quelques jours d’écart – va faire la différence, et empêcher l’épidémie de s’envoler.
Selon certaines études, si New York avait introduit des mesures de distanciation sociale une semaine ou deux plus tôt, le nombre de morts aurait été de 50 à 80% inférieur.
Un système de santé défaillant
Dans ce contexte d’engorgement, le système de santé n’a pas suivi, et en raison du manque de soins médicaux, beaucoup de malades sont morts.
Selon une analyse du Washington Post, les districts à population majoritairement noire ont connu un taux d’infection trois fois plus élevé et un taux de mortalité six fois plus élevé que les districts à prédominance blanche. Les populations les plus vulnérables étaient les familles nombreuses vivant dans des habitats populaires, par exemple dans le Queens.
Certains équipements médicaux en sont très vite venus à manquer. Après avoir passé des semaines à rechercher des respirateurs, la pénurie atteint aujourd’hui les équipements de dialyse. Dans certains hôpitaux, un tiers des patients atteints par le virus souffriraient d’atteintes aiguës du foie. Et pour débarrasser le sang des toxines, quand le foie n’y parvient plus, il faut du matériel de dialyse.
Nos amis les Belges
Le plus souvent, la comparaison des décès du Covid-19 selon le pays s’appuie sur l’indicateur du nombre cumulé de décès. Dans le premier graphique ci-dessous, nous avons comparé les pays dont la mortalité est la plus élevée, en définissant le premier jour de l’épidémie comme le moment où la barre des 10 décès est franchie.
C’est aux États-Unis que le nombre de décès cumulés est le plus élevé, suivis par l’Italie, l’Espagne, la France, le Royaume-Uni. On peut aussi observer l’efficacité de la politique sanitaire chinoise, la légère remontée du jour correspondant à l’incorporation dans les données des décès s’étant déroulés à domicile. Le graphique nous permet également d’observer la posture enviable de l’Allemagne, de la Hollande, de la Suède et de la Belgique, dont le nombre de décès est très fortement inférieur à l’Europe du Sud.
Et pourtant, ceci n’est qu’un point de vue et il apparaît essentiel de prendre en compte une dimension déterminante : la taille de la population des pays comparés. C’est l’objet du second graphique ci-dessus, qui compare la mortalité liée au Covid-19 par million d’habitants. Un biais important réside dans le fait que sont comparés des décès ayant lieu à des stades très différents de l’épidémie – très avancés dans certains pays, au tout début dans d’autres.
L’approche des décès par million d’habitants change profondément la donne. En particulier la situation des États-Unis, qui s’affichent désormais en huitième position, derrière la Suède, dans une posture finalement moins privilégiée qu’il n’y paraissait au premier abord. Mais surtout, en tête de la mortalité, on trouve désormais la Belgique. En matière de décès par million d’habitants, elle dépasse dorénavant l’Italie et l’Espagne , fait cinq fois moins bien que la France, pourtant montrée du doigt, et 10 fois que l’Allemagne.
Ce qui permet de mieux comprendre la question du mouvement réformateur au ministre belge de la santé: « Y-a-t-il un pilote dans l’avion en chute libre?« , qui s’inquiète notamment du retard pris en matière de testing dans les maisons de repos bruxelloises. La situation belge est donc préoccupante. Elle peut nous étonner, compte tenu de la bonne qualité du système de soins et l’accès des soins à tous.
Un premier facteur explicatif réside peut-être dans une sur-évaluation liée au mode de recueil statistique qui incorpore parmi les décès du Covid-19 des personnes qui n’ont pas toujours été testées, mais dont les symptômes sont jugés suffisamment probants.
La forte densité de la Belgique, parfois invoquée, demeure en revanche un argument peu crédible, en tout cas si l’on se fie à l’exemple de Hong-Kong, dont l’infime taux de mortalité va de pair avec une densité pourtant bien supérieure.
Une mauvaise gestion politique de la crise sanitaire est incontestable. Elle a notamment pris la forme de la multiplication des commissions et des comités, sans coordination suffisante, ou du maintien de manifestations collectives d’ampleur, et ce en dépit du risque de contagion, ainsi que de tentatives pour minimiser l’épidémie, qualifiée de « petite grippe ».
Il est sans doute un indicateur qui a masqué la réalité de l’hécatombe: alors que les Belges se félicitaient d’avoir su contenir la saturation des unités de soins intensifs, leur taux d’occupation ne dépassant jamais 54% (contrairement à leurs amis français), le drame s’est joué ailleurs : 43% des décès se sont déroulés en maisons de repos et de soins où le personnel a également payé un très lourd tribut.
Les victimes du Covid-19 y ont été abandonnées à leur sort sans même avoir eu accès à des soins hospitaliers, « avant d’être enterrées à la va-vite, en petit comité, dans l’anxiété de leurs proches » craignant d’être contaminés à leur tour.
Les bébés du confinement
À l’hôpital ils sont nés avec leur mère et le personnel soignant, alors que leur père était parfois là durant les séances de préparation à l’accouchement et qu’ils connaissaient sa voix. Pourquoi ne l’entendent-il plus?
Ils ne connaîtront le reste de la famille que plus tard, et seule la maman, parfois le papa pourra prodiguer des câlins.
Elle ou il mettra plus de temps à se familiariser avec les visiteurs masqués, qui se ressemblent tous. Heureusement qu’il y a leur voix qui permet de les reconnaître.
Parmi les tragédies on trouve les bébés qui ne connaîtront jamais leur maman, comme la fille de l’infirmière anglaise de 28 ans, Mary qui a pu être sauvée par une césarienne alors que sa mère venait d’être emportée par le virus.
Tandis qu’un autre bébé, aura lui la chance inouïe de découvrir les bras de sa maman, même si c’est seulement 11 jours après sa naissance, celle-ci ayant accouché par césarienne dans le coma.
INDE : avant la crise sanitaire, la crise humanitaire
L‘état sanitaire de l’Inde est préoccupant: la mortalité infantile atteint 63 décès pour 1000 naissances vivantes (France 3,7) et plus de la moitié des enfants souffrent de pathologies associées à la malnutrition, tandis que 122 millions de foyers n’ont pas de toilettes, et disposent seulement d’1 médecin pour 1000 habitants (4 en Italie) (1).
Alors que dans les pays industrialisés, les dépenses de santé privées dépassent rarement 25% du budget des ménages, en Inde les familles paient 80% de leurs dépenses de santé lorsqu’elles se font soigner (2).
Aussi l’espérance de vie est de 69 ans (France 82 ans) (3), et alors que la diffusion du Covid-19 n’en est encore qu’à ses tous débuts (12000 cas confirmés) le pays est déjà confronté à une catastrophe humanitaire de grande ampleur qui a pris la forme d’un exode massif parmi des journaliers agricoles privés d’emploi, qui tentent de regagner leur village en parcourant de très longues distances à pied. Souffrant de la faim et de la soif, ils sont en outre violemment pourchassés par la police.
La responsabilité n’en incombe pas au virus, mais au style politique du premier ministre Narendra Modi, dont la brutalité est une des marques de fabrique – en 2016, sans aucun préavis, il avait décidé du retrait immédiat des billets de 500 et 1000 roupies (près de 90% de la monnaie en circulation) au prétexte de « lutter contre la corruption », précipitant son pays, dont le taux de bancarisation est très faible (< 40%) (4) dans le chaos.
Quand le premier cas de coronavirus est annoncé dans le monde (30 janvier), l’Inde connaît des conflits très violents suite au vote d’une loi discriminatoire à l’égard des Musulmans :
« On extirpait (..) des cadavres mutilés du réseau d’égouts putrides à ciel ouvert le jour où (..) la plupart des Indiens ont découvert l’existence d’un nouveau produit : le désinfectant pour les mains » (5)
Alors que l’OMS déclare l’état de pandémie, le 13 mars, le ministre de la santé affirme que le Covid-19 « ne représente pas une urgence sanitaire ». Le 19 mars, le premier ministre Narendra Modi s’adresse à la notion à propos des pratiques de distanciation sociale. Le 22 mars, il annonce l’arrêt de toutes les activités en Inde – la mesure devant prendre effet seulement quatre heures après. Cette brutale décision concerne 1,4 milliard de personnes, la plus grande population confinée au monde. Le 4 avril, le confinement a été prolongé jusqu’au 3 mai.
Dans la mesure où les transports ont cessé, les travailleurs et parfois leurs familles sont parqués dans les grandes villes, notamment Mumbai et Delhi, transformée en « dortoir à ciel ouvert » (6).
Des millions de personnes appauvries, affamées, assoiffées, congédiées, pour un grand nombre d’entre elles, par leurs employeurs et propriétaires, jeunes et vieux, hommes, femmes, enfants, malades, aveugles, handicapés entamèrent une longue marche de retour vers leurs villages (…) Certains, contaminés, y allaient pour mourir, d’autres pour ne pas mourir de faim. En chemin, certains ont été brutalement frappés et humiliés par la police. D’autres arrosés avec des produits chimiques. Dans l’Uttar Pradesh, des policiers ont obligé des hommes à marcher à quatre pattes pour les punir d’avoir désobéi au confinement » (5).
En Inde, le Covid-19 a renforcé les inégalités de castes et de classe, « a agi à la façon d’une réaction chimique mettant d’un seul coup en lumière des éléments cachés » (5).
Outre leur difficile transposition en Inde, où se laver les mains fréquemment est impossible sans accès à l’eau courante, les gestes barrière et la notion même de distanciation sociale contribuent à légitimer l’intouchabilité de certaines populations. En effet, la plupart des travailleurs transformés en mendiants sont des intouchables, inéligibles aux programmes d’aide. L’écrivain activiste Suraj Yengde propose ainsi de substituer à la notion de « distance sociale » une autre expression comme « distance physique » et « solidarité sociale » (7).
Les modalités de l’instauration du confinement par le ministre Modi ont donc contribué à engendrer une véritable catastrophe humanitaire et sanitaire qui se comptera aumoins en centaines de milliers de décès. En outre, le confinement a eu pour résultat de renforcer la promiscuité physique et le risque de contagion parmi les populations les plus misérables.
C’est dans ce contexte explosif, que le 9e jour du confinement, à 9 heures du matin, Modi n’a pas hésité à exploiter la crédulité, la dimension irrationnelle et l’angoisse des populations en envoyant un message de 9 minutes leur ordonnant d’éteindre leurs lumières puis d’allumer des bougies durant 9 minutes le dimanche 9 avril (8).
Mais le miracle n’a pas eu lieu et l’épidémie n’a pas disparu – pas plus que ses boucs émissaires – de l’ex intouchable dénoncé pour ne pas avoir éteint ses lumières qui a vu sa maison mise à sac par ses voisins (8) aux Musulmans qui auraient inventé le virus comme une « arme de djihad » (6).
N. Ordioni
(1)https://www.unicef.org/french/infobycountry/india_background.html
(2) https://www.who.int/whr/2000/media_centre/press_release/fr/
(3) CIA World Factbook 2017
(4)http://documents.worldbank.org/curated/en/957681468340260232/pdf/824000BRI0Find00Box379863B00PUBLIC0.pdf
(5) « En Inde, le confinement le plus punitif du globe », Arundhati Roy, Le Monde, 8 avril 2020.
(6) La Croix, n°41677, Vanessa Dougnac, 6 avril 2020.
(7)https://www.news18.com/news/india/coronavirus-reaffirmed-indias-caste-class-inequalities-author-suraj-yengde-on-inclusion-amid-a-pandemic-2577035.html
(8) « L’Inde invoque la magie pour sortir des « ténèbres du coronavirus » », Sophie Landrin, Le Monde, 14 avril 2020.
La rhétorique du déni
Le Brésil et la Turquie – respectivement 210 et 82 millions d’habitants, sont deux pays ou l’épidémie de Covid-19 s’accélère après avoir déjà fait 1200 victimes:
La rhétorique de la crise sanitaire utilisée par le président turc, Recep Erdoğan s’apparente à celle de Donald Trump. Tout en instaurant le couvre-feu durant le week-end, il se félicite du « good job » accompli tant par la population, qui a bien suivi les nouvelles règles de distanciation sociale, que par l’ensemble des acteurs luttant contre la pandémie.
« Nous ne manquons de rien. Il y a largement assez de médecins, de matériel, de médicaments.. Aucun problème dans la fabrication de masques. Tous les citoyens reçoivent des masques gratuits (..) De nouveaux hôpitaux verront le jour très bientôt (..) Nous sommes en tête du nombre de tests dans le classement mondial ».
La réalité correspond-elle à ce discours? L’avenir nous le dira. Pour l’instant, si les citoyens ont pu remplir un formulaire en ligne afin d’avoir droit à des masques gratuits, des questions se posent dans les médias : « Quand la distribution gratuite des masques sera-t-elle effectuée? Quand les masques gratuits arrivent-ils? »
L’optimisme du ministre de la santé est alimenté par l’utilisation d’une « drogue-miracle » « venant de Chine » (un antigrippal, la molécule favipiravir):
« Nous avons utilisé le médicament que nous avons apporté de Chine au début de la période et nous constatons que le nombre de jours d’hospitalisation des patients en soins intensifs diminue de jour en jour, qu’il y a une baisse dans le nombre de patients intubés. Nous sommes très forts au niveau du traitement »
Au Brésil, la problématique de gestion de la crise sanitaire est toute autre, comme nous l’avons déjà décrit – le président Bolsonaro ayant longtemps adopté une attitude de déni face à l’épidémie. Si les Brésiliens se réjouissent de sa volte-face, puisqu’il a fini par admettre l’urgence de gérer la crise sanitaire, les critiques à son égard se poursuivent.
« En niant la science et en se mettant en scène dans des séquences d’irresponsabilité, encourageant la société à saboter la distance sociale contre le coronavirus, Bolsonaro a ridiculisé le Brésil aux yeux du monde entier (…). Il a mis la vie des autres en danger »(Thais Oyama). Selon un épidémiologiste de l’École de santé publique de l’Université de São Paulo, Ivan França Jr : « Nous allons voir des personnes mourir à l’extérieur des hôpitaux dans trois ou quatre semaines », parce qu’il n’y a pas assez de lits de soins intensifs. Ce scénario catastrophe semble déjà être une réalité en Équateur, où le faible nombre de morts officiels (moins de 400) masque une véritable hécatombe: près de 800 cadavres ont déjà été retrouvés dans les habitations par la force spéciale policière et militaire « après l’effondrement des services mortuaires de Guayaquil ».
Dans le reste du monde:
We are the champions
La démographie – autrefois branche de la statistique est parfois considérée comme la « plus exacte » des sciences sociales. Ceci est lié à l’inertie des phénomènes mesurés (mortalité, morbidité): en observant ce qui se passe aujourd’hui, on peut prévoir ce qui arrivera demain, sans grand risque de se tromper.
Il y a parfois des revirements – comme la hausse de mortalité constatée en mars 2020 par rapport à mars 2019: +13% pour les hommes et + 8% pour les femmes en France.
Peu de revirements en revanche dans l’évolution de la courbe épidémique des trois pays les plus touchés – l’Italie, l’Espagne et la France, où le nombre de personnes en réanimation et en soins intensifs est à la baisse (Santé Publique France), tandis que l’on assiste à un ralentissement de la hausse des nouveaux décès dans les deux premiers pays.
Hier, j’ai assisté à quelques instants d’une conférence de presse de D. Trump diffusée sur Fox News. Le président affirme que l’économie américaine sera sur pied dès le 1er mai pour les raisons suivantes:
« We’ve done an incredible job we have everything we have tests, we have masks we have beds…(..) We are the envy of the world in terms of ventilators (..) Germany would like to have some. France would like to have some.. Italy and Spain would like to have some…(..) We have beds available all over NYC. (..) We have more tests than everybody in the world. Our tests are the best in the world (..) »
Après sa longue diatribe sur le thème de la supériorité américaine dans le monde, Trump a esquivé tout débat – opposant une fin de non recevoir au journaliste qui avait eu l’audace d’exprimer quelques doutes : « You shouldn’t be asking that kind of question! »
Pourtant, le seul record qui revient aujourd’hui aux États-Unis est totalement macabre! C’est celui du nombre le plus élevé de morts dans le monde (18860), qui dépasse désormais celui de l’Italie (18849) (1)
(1) Source: https://github.com/CSSEGISandData/COVID-19
Le pic et le déconfinement
La question du déconfinement est au centre des débats médiatiques, alors même que le nombre de morts poursuit sa course: « La France n’est pas encore au pic épidémique », affirme le ministre de la santé, Olivier Véran, tandis que le premier ministre renchérit: « C’est l’heure du confinement et l’heure du confinement va durer ».
Mais qu’est-ce donc le pic de l’épidémie? C’est le « mode » de la courbe épidémique, sa valeur dominante, qui précède l’amorce de sa décroissance. La courbe épidémique italienne illustre le basculement qui s’est produit voici quelques jours. Cette évolution pourrait néanmoins être remise en question si l’épidémie se diffusait vers des régions encore épargnées jusqu’alors.
Aux Etats-Unis, la courbe s’affole, le président aussi. Trump prédit « l’entrée dans une période qui va être vraiment horrible ».
Le pêché originel
La fin de semaine aurait été l’occasion pour de nombreux Français d’investir l’espace public de façon abusive, pour faire des courses, du sport, ou simplement pour se promener.
Le « pêché originel » résiderait dans l’organisation d’élections municipales en pleine crise sanitaire, ce qui aurait contribué à décrédibiliser la parole politique et à instituer une communication fondée sur le principe de l’injonction contradictoire, de la « double contrainte ».
Pourtant, le ministère de l’intérieur rappelle que les Français sont parmi ceux qui respectent le mieux le confinement dans le monde.
e. Pour la première fois, la pression sur les soins intensifs est également légèrement atténuée, avec 74 patients en moins. Le nombre de décès quotidien augmente également moins vite.
Une thématique centrale du jour est celle du changement de stratégie relative au port du masque, qui est désormais jugé utile et même indispensable. En effet, de nouvelles théories relatives au mode de contagion, développées par des médecins américains, affirme que le virus ne se transmettrait pas seulement par gouttelettes, mais dans l’air. Il a été rendu obligatoire, notamment en Lombardie, dès le 06/04.
Les tweets de Bolsonaro
Au Brésil, l’épidémie s’accélère encore. Selon le ministère de la santé, 4 états se trouveraient dans une situation incontrôlée en matière de diffusion du virus : le District fédéral, São Paulo, Ceará, Rio de Janeiro et Amazonas. Ceci renvoie à un très fort écart avec le coefficient d’incidence national qui atteint 4,3 cas pour 100 000 habitants.
Dans ces régions, les coefficients d’incidence sont:
District fédéral – 13,2 / 100 000
São Paulo – 9,7 / 100 mille
Ceará – 6,8 / 100 mille
Rio de Janeiro – 6,2 / 100 mille
Amazonas – 6,2 / 100 mille
Rappelons que depuis quelques jours, plusieurs gouverneurs ont adopté des mesures de confinement. Pourtant, le président du Brésil, Jair Bolsonaro, s’oppose à ces mesures, en postant notamment des tweets le mettant en scène dans des situations de proximité physique avec des habitants de Brasilia (premiers tweets d’un président supprimés par le réseau social).
France-Italie
Le ralentissement de l’apparition de nouveaux cas confirmés italiens semble pérenne.
En Italie, le tassement de nouveaux cas se poursuit.
La comparaison France-Italie laisse toujours apparaître un retard de 11 jours de la France, et deux courbes très proches. l’une de l’autre.
Italie: décroissance du nombre des « nouveaux cas confirmés »
Quand spiritualité ne rime pas avec santé
Au Japon, l’épidémie est décrite comme « sous contrôle » par le premier ministre Shinzo Abe «Comparé aux autres pays, le Japon tient bon» (28 mars 2020). Peut-être parce que la neige qui tombe à gros flocons favorise le confinement?
En Israël, où l’épidémie est encore à ses tous débuts, selon une source anglaise, « la moitié des personnes hospitalisées seraient des ultra-orthodoxes ».
Ceci corrobore les résultats d‘autres études réalisées notamment au Royaume-Uni où la part des patients de confession juive parmi les décédés du coronavirus (5%) est largement supérieure à leur part dans la population (0,3%).
Plusieurs facteurs seraient explicatifs, dont notamment la fréquentation des synagogues, qui constitueraient un lieu de forte promiscuité, l’âge moyen assez élevé des membres de la communauté juive dans cette diaspora. En outre, cette surmortalité concernerait les diasporas juives de plusieurs pays européens.
« Les premiers quinze jours d’avril seront plus difficiles que les quinze jours qui viennent de s’écouler » « Le combat ne fait que commencer » (E. Philippe, 28 mars 2020).
A la lumière du graphique du jour, en faisant l’hypothèse que la France et l’Italie ont environ 11 jours d’écart en matière d’avancée de l’épidémie, les deux pays semblent superposés.. et on voit avec effroi ce qui nous attend..
La semaine dernière, l’indicateur des « tests confirmés » plaçait la France en meilleure posture ! Mais, comme envisagé, cela renvoyait au très faible nombre de tests effectués par la France – à l’inverse des États-Unis, de l’Allemagne, et même de l’Italie.
Allemagne et Italie
La situation allemande : le très faible nombre de morts s’explique sans doute en partie par l’état du système de santé et en particulier le nombre de respirateurs qui seraient 2 à 3 fois plus nombreux qu’en France. Les Allemands ont également pratiqué une politique de tests massifs, rendue possible par une attitude prévoyante. Enfin, les « taxis corona » médicalisés et itinérants, qui s’occupent des patients à domicile très tôt après la détection de la maladie, ont favorisé un désengorgement de la pression hospitalière à travers une prise en charge plus précoce de la maladie.
Une autre raison est d’ordre méthodologique: dans le cas de co-morbidités associées, l’Allemagne associe le décès à la première cause (ex: cancer & covid-19), ce qui tend à en réduire le nombre.
Les pays européens ne mesurent donc pas la même chose: les Belges comptabilisent les décès en EHPAD, contrairement à la France (2). Le nombre de décès français inventorié et égrené chaque soir par le directeur de la santé, Jérôme Salomon est donc fortement sous-évalué, puisqu’il ne comptabilise que les décès à l’hôpital.
Les pratiques de lutte contre l’épidémie sont également diverses: le confinement n’est pas pratiqué en Suède ni en Hollande qui privilégient le principe « d’immunité collective ».
2) Le cas de l’Italie
L’indice de vieillesse de la population le plus élevé de l’UE (effet de structure), or l’âge moyen des personnes décédées suite au coronavirus est de 81 ans. 22,8% de plus de 65 ans avant l’épidémie. Combien après?
Un taux très élevé de chômage des « jeunes » (33% en 2019) dont 81% des 15-29 ans vivent chez leurs parents (contre 35% des Suédois), ce qui favorise sans doute la contamination.
Une situation économique dégradée, notamment au niveau du taux d’endettement.
Un système de santé géré au niveau local, souffrant d’un manque d’investissements.
La situation italienne pourrait aussi renvoyer aux méthodes de soin, notamment la mise en œuvre de techniques de ventilation non invasives (oxygène à l’aide de masques) qui favoriseraient une forte excrétion de gouttelettes concentrées en charge virale (1).
Parmi les facteurs explicatifs du nombre record de cas et de décès, il nous faut enfin ajouter le grand nombre de travailleurs chinois:
« au total, 310 000 Chinois vivent en Italie et beaucoup retournant en Italie après le Nouvel An chinois ont propagé le virus dans le pays. Alors qu’elles connaissaient la gravité de l’épidémie, les autorités n’ont pas appliqué de restrictions de voyage appropriées ».
(1) Verdo, Yann, Les Echos, 20 mars 2020
(2) Pascal Canfin, président de la commission environnement du Parlement Européen, 26/03/2020, interview Cnews. RETOUR
Ordioni 11 juillet 2024 — Auteur d'un article
Un retard cognitif?
Les « bébés de la pandémie » sont en âge d’aller à l’école : certaines études révèlent des signes de retard scolaire et du développement.
Ils seraient moins susceptibles de posséder les compétences adaptées à son âge : être capable de tenir un crayon, de communiquer ses besoins, d’identifier des formes et des lettres, de gérer leurs émotions ou de résoudre des problèmes avec les pairs.
Les garçons seraient plus affectés que les filles
Dr Jaime Peterson, pédiatre à l’Oregon Health and Science University : « Nous leur avons demandé de porter des masques, de ne pas voir les adultes, de ne pas jouer avec les enfants. Nous avons vraiment coupé ces interactions, et les enfants ne peuvent plus récupérer ce temps. »
OrdiNat 22 avril 2020 — Auteur d'un article
Un grand merci à toi Annie, pour ton soutien au début de cette nouvelle étape de vie, tellement précieux!
Par ailleurs, je te suis aussi reconnaissante pour tes remarques si intelligentes et constructives – je pense notamment à la question de la prise en compte du nombre d’habitants, qui fait en effet grand sens dans l’analyse.
Mais d’après moi surtout quand l’épidémie a atteint son pic, car avant on compare des situations à des moments différents.
annie 21 avril 2020
Merci Nat pour ces infos regulières sur le monde! Je suis ta fidèle lectrice!